Me voici confronté à un ensemble presque exhaustif des gravures de Bernard Alligand.
La plupart d’entre elles figurent dans des livres d’artiste ; elles s’attachent, par conséquent, à initier un jeu de correspondances avec un texte, prose ou poésie. Ces œuvres, donc, véhiculent une charge de signification. Celle-ci, toutefois, se manifeste de manière absolument singulière car, en tous points, la gravure impose ses particularités.
A la différence du dessin ou de la peinture qui tendent à privilégier la perception visuelle et demeurent - du moins partiellement - arts de l’illusion, la gravure, sans exclure complètement ce caractère, s’adresse en premier lieu, au sens tactile. Ce trait apparaît d’emblée dans le travail de B. Alligand. Il se traduit par l’incontestable primauté de la profondeur. En effet, pour obtenir une gravure, dans tous les cas, il s’agit de creuser. Peu importe la plaque qu’on a choisie – cuivre, zinc, linoléum, bois…, l’essentiel réside dans le relief qui surgira à l’impression. Or, il y a, chez B. Alligand cette obsession de l’empreinte, de cette marque indélébile dans le papier soumis à la presse, de la main et de l’outil qui la prolonge.
Une telle entreprise implique des choix lucides : plaques, papiers, outils, encres…, et des techniques éprouvées ! Dans ce domaine où hazard et maîtrise se côtoient, la réussite ne peut être le fruit que d’innombrables expériences accumulées patiemment. Ainsi, à travers elles s’est révélée la virtuosité de B. Alligand. J’en administrerai quelques preuves (trop limitées, à mon goût, mais fort éclairantes). Dans « Cette clarté qui émerveille » (J-P. Geay - Atelier du mot 2000) quatre traits jaunes dialoguent inlassablement avec un point rouge. Stupéfiante économie de moyens et saisissante force de suggestion ! Parfois, pour accroître le relief de ses empreintes, B. Alligand rehausse celles-ci d’un collage contrasté. Tel est le cas de la plupart des œuvres ornant « L’étendue sillonnée » (J-P. Geay - L’Atelier du mot 2003) ou « La lumière donnée » (J-P. Geay - R.et L. Dutrou Paris 1996 ). Cette conception à la fois légitime et novatrice de la gravure, trouve peut-être son apogée dans la couverture monochrome de « Au-devant » (J-P. Geay - Laure Matarasso 1995). Le toucher y est à un tel point sollicité que le sens visuel n’intervient que très secondairement.
Je pourrais m’égarer plus avant encore dans l’œuvre gravé de Bernard Alligand. Mais, à quoi bon prolonger un discours dont la logique même préconise le contact charnel avec les gravures de l’artiste. C’est de cette approche sensible qu’on retirera cette part d’indicible : un sentiment inédit d’audace et de plénitude.
Yves MAIROT. Saint- Martin Bellevue - Mai 2004
Yves Mairot, artiste peintre, professeur en sémiologie de l'image d'art à l'Université Paris III Sorbonne Nouvelle, né en 1924 en Haute-Savoie, pratique dessin et peinture depuis l'âge de 7 ans. Après de nombreuses expositions en France et à l'étranger, il s'installe à Saint-Martin Bellevue en 1986, proche d'Annecy où il consacra tout son temps à la peinture.
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