Au commencement étaient les ténèbres et leur insondable profondeur, au commencement étaient la lumière, les vents galactiques, le ciel et la poussière, au commencement étaient l’univers et la terre, les montagnes et les déserts, les océans et les mers. Tous phénomènes heureusement présents dans l’œuvre de Bernard Alligand.
En effet, que seraient l’univers, le ciel et les étoiles, la terre avec ses montagnes, ses océans et ses déserts, sans la conscience de leur réalité ? Sans le regard et la pensée de l’homme nul ne saurait ce qu’est l’univers ni comment il fonctionne. Et l’homme, pour l’expliquer, en a d’abord personnifié les éléments, faisant ainsi sa représentation du monde à son image d’une manière légendaire, allégorique ou mythologique, quelles que furent les civilisations. La théologie chrétienne, quant à elle, situe Dieu à l’origine du monde. Tout ce questionnement sur l’univers a donné lieu à des créations artistiques remarquables. Que de visions les œuvres d’art ne nous ont-elles pas données de ce mystère des origines ! Qu’il nous suffise seulement de penser à « La création » de Joseph Haydn ou à la magnifique orchestration du chœur d’entrée de la « Passion selon Saint-Jean » de Jean-Sébastien Bach avec ses dissonances et ses modulations chromatiques, parcourant ensuite toute l’œuvre, lesquelles expriment les bouleversements cosmiques qui ponctuent les différentes étapes de la passion du Christ, jusqu’au tremblement de terre et à l’éclipse au moment de son agonie sur la croix. Évocation que l’on retrouve également dans le figuralisme de nombreuses cantates où l’écriture ajoute au sens un aspect visuel. Pour ne prendre que des exemples musicaux.
Mais comment traduire picturalement cette naissance de l’univers ? Question que Bernard Alligand s’est souvent posée et cela dès le début de son œuvre. Il suffit d’un bref retour en arrière pour s’en rendre compte. Au cours de sa formation, sa visite des grottes de Lascaux - centre natal de la peinture - lui fit prendre conscience du rôle de la matière, les représentations figurées étant inséparables de la paroi sur lesquelles elles étaient dessinées, en donnant à celles-ci une dimension non seulement spatiale mais aussi colorée, la roche par son relief, par sa texture faisant intégralement partie de ces représentations. Et c’est là que naquit en Bernard Alligand sa sensibilité à la matière comme constituant de la peinture. Dès lors, il en fera son principe fondamental, sa quête primordiale.
Et c’est en travaillant à partir de la matière, d’une matière animée propageant la couleur et génératrice d’espace, que Bernard Alligand réalisera la plupart de ses œuvres de sa grande période lyrique des années 1992-1995. Matière également présente dans ses premiers essais de gravure, faisant ainsi de la gravure en creux , une gravure en charge, voie ouverte par notre ami commun Henri Goetz, grand visionnaire du contenu spatial infini ou infinitésimal.
Si, ultérieurement, Bernard Alligand s’est peut-être davantage préoccupé de l’adéquation entre formes et couleurs (géométrie constructive des formes, énergie spatialisante de la couleur) la matière demeurera néanmoins omniprésente dans ses œuvres comme adjuvant de la composition mais toujours de façon expressive : élément du chaos originel, car c’est par le truchement de la matière que Bernard Alligand accède à l’universel. Matière qu’il ira ensuite glaner, prélever, jusqu’en des lieux désertiques lors de ses séjours en Égypte et au Maroc et qui entrera désormais dans son œuvre par inclusion. Mais c’est l’Islande qui jouera le rôle de catalyseur dans ce processus d’intégration : l’Islande, pays de volcans en activité dont Bernard Alligand récoltera des laves, des cendres, des scories (matières vivantes expulsées des antres de la terre et projetées incandescentes dans l’air) pour en faire les éléments constitutifs de son œuvre, matériaux premiers auxquels il attribuera comme fonction d’exprimer la genèse du monde.
Mais comment exprimer picturalement cette « genèse du monde », phénomène à la fois tellurique et cosmique que seul le regard peut appréhender, la fonction de l’œuvre d’art n’étant cependant ni de donner une image du réel (pour cela il y a la photographie), ni la copie qui en fournirait, par équivalence, par imitation, une reproduction figurative, mais de « rendre visible » comme l’indiquait si justement Paul Klee ou de « donner à voir » comme l’écrivait Paul Éluard. Comment rendre visible avec des moyens spécifiques (ceux de la création artistique) ces phénomènes naturels qui se déroulent à notre insu et dont l’homme est l’unique témoin ? En chercher, en trouver les moyens proprement picturaux (comme Jean-Sébastien Bach, Haendel, Richard Wagner et tant d’autres l’ont fait en musique) pour saisir le moment où la matière « instantanément reine » (René Char) engendre la terre sous l’impulsion d’un souffle vital chargé de poussière élémentaire venue du fond de l’univers. Et c’est bien là, tout la fonction de l’œuvre d’art, en un mot : inventer un langage. Pour cela Bernard Alligand va faire des choix délibérés lorsqu’en 2020, il se fixa pour objectif d’exprimer cette « genèse du monde », c’est-à-dire cet instant perpétuel toujours à son commencement, comme le poète Johann Rist l’évoquait dans des vers que Jean-Sébastien Bach utilisera pour composer sa cantate BWV 60 en 1723 et qu’il reprendra quelques mois plus tard en 1724 dans la cantate BWV 20 : « ô commencement qui n’aura pas de fin ».
Quels sont donc ces moyens ? Un format préalablement déterminé et une technique strictement limitée au départ, de manière à former une suite séquentielle : de la peinture sur papier au format 30 cm x 30 cm et, dans la foulée des toiles de grand format. Donc, un cadre compositionnel défini, un seul procédé : la peinture, rigueur et sobriété. Deuxièmement, le parti pris de ne pas faire usage de la polychromie, presque uniquement le noir et le blanc, la lumière et les ténèbres, le clair et l’obscur : féconde alliance des contraires. Troisièmement, l’emploi exclusif de matériaux récoltés sur place (y compris des boues volcaniques) broyés, filtrés, tamisés auxquels viendront s’adjoindre du sable marin et des coquillages écrasés, concassés. Enfin, une lumière stable, neutre, parfois encore enténébrée, mouvante, uniforme, sans coloration atmosphérique, celle de l’origine, celle de l’encore incréé.
Tels sont les éléments de base que Bernard Alligand s’est imposé pour structurer chacune de ses compositions afin de former des variations où le thème sans cesse revient comme un continuum qui en assure le lien organique, gage de leur unité, phénomène circonscrit seulement à la relation ciel-terre, au sein de l’espace, à l’exclusion de tout ce qui se déroule simultanément dans le reste de l’univers. Saisir les sources de la vie, le souffle de la vie où matière céleste et matière terrestre se conjuguent, interfèrent dans un constant renouvellement. Ainsi assistons-nous à la naissance des reliefs, des océans, des déserts, des continents dans leur dynamisme initial, dans leurs formes originaires. Peintures voltigeantes pour un équilibre précaire, fragile encore. Peintures semblables au tonnerre ou à l’éclair qui transfigure. Peintures où la poussière engendre la matière. Peintures où tout s’accomplit et se métamorphose dans le champ du regard et dans le « chant du monde » (Jean Giono). Un lieu de tous les possibles. Un prélude sans fin dans sa nuée ardente ou dans sa nébulosité.
Rédacteur : Jean-Pierre GEAY
I N V I T A T I O N
Jean LEONETTI
Président de la Communauté d'Agglomération Sophia Antipolis, Maire d'Antibes - Juan-les-Pins
Michel ROSSI
Vice-Président de la Communauté d'agglomération Sophia Antipolis, délégué à l'Action Culturelle, Conseiller Départemental et Maire de Roquefort-les-Pins
ont le plaisir de vous inviter à l'inauguration de l'exposition Retour d'Islande
Le vendredi 17 septembre à 17h30
Hall d'exposition de la Médiathèque Albert Camus 19 bis, Boulevard Chancel 06600 ANTIBES - JUAN-LES-PINS
EXPOSITION RETOUR D'ISLANDE du 20 juillet au 16 octobre 2021
Jean-Pierre Geay. Vesseaux – mai 2021
Jean-Pierre Geay est un écrivain, poète et critique d’art français, né le 20/11/1941 à Bruailles en Saône-et-Loire. Professeur agrégé de lettres modernes, il a enseigné à Privas puis à Aubenas jusqu’en 2002. "Poète de la lumière et de l'éphémère", des paysages des Alpilles et de l'Ardèche, nourri de l'influence de Pierre Reverdy et de la proximité de René Char, son écriture poétique exprime également un regard critique sur la peinture, au gré de ses rencontres avec les artistes. Auteur d'ouvrages critiques ou de catalogues d'expositions sur ses amis Henri Goetz, Yves Mairot et Bernard Alligand, il a également collaboré avec une quarantaine de plasticiens. Chevalier de l'Ordre National du Mérite, Chevalier de l'Ordre des Arts et Lettres, Officier des Palmes Académiques, Membre de l'Académie des Sciences, Lettres et Arts de l'Ardèche.
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